Saviez-vous que l'on doit à Onésime Reclus, le mot et le concept de francophonie ? Son frère Elysée voit le français comme une langue internationale, "celle dans laquelle ont été formulés les droits de l’homme", une langue commune qui doit faciliter « l’union fraternelle et universelle des êtres humains. »
Dans cet article paru dans notre dernier bulletin, Gabrielle Cadier Rey, maître de conférence et historienne du Protestantisme nous livre un récit étonnant sur la vision de cette famille durant le colonialisme en Algérie.
L'intégralité de cet article est proposé dans le bulletin 2021 de la SHPVD. Vous pouvez le comander avec votre adhésion en vous rendant sur la page "
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L’Afrique du Nord en général et l’Algérie en particulier n’ont pas intéressé les Reclus seulement sur un plan géographique. Plusieurs membres de la famille y ont vécu et Élisée y a fait plusieurs voyages.
On se rappelle qu’en 1858 Onésime y était parti, engagé comme zouave, « un pauvre zouzou » comme disaient ses petites sœurs, mais l’expérience ne fut pas concluante. Ses camarades se moquaient de sa caisse de livres et de ses migraines. Ses parents, pour le sortir de là, durent « acheter » un remplaçant. Mais de cette courte expérience africaine, Onésime avait gardé une fascination pour la beauté du pays et certains ont fait partir de là sa vocation géographique.
Trente ans plus tard, en 1885, le gendre d’Élisée, le mari de sa fille aînée Magali, Paul Régnier (1858-1938) décide de s’installer en Algérie pour la santé de sa femme. Grâce à sa double formation d’ingénieur de l’École Centrale et d’architecte, il devient l’assistant de l’architecte Redon à Alger pour y développer des projets d’urbanisme. Dans ses constructions, il utilise le béton armé. Mais bientôt, il préfère quitter la ville, il achète un domaine viticole de 1050 ha et crée la coopérative de Tarzout dans la région de Ténès (arrondissement d’Orléansville, à 200 km à l’ouest d’Alger) en 1887-1888. Les terres sont achetées à une confrérie musulmane. Nombreux sont les membres de la famille Reclus qui passent ou s’installent plus longuement dans ce qu’Élisée appelle « un phalanstère anarchiste ».
Deux cousins fils de Johanna (la plus jeune sœur d’Élisée), les frères André Bouny (1870-1910) et Pierre Bouny (1889-1916) viennent les rejoindre, mais ils mourront jeunes. Plus longue et importante va être l’installation d’un autre cousin germain, André Reclus (1861-1936), fils cadet d’Élie Reclus, à Boukifiline. Mais en 1914, il part pour le Maroc près de Marrakech, à Sgara. En 1925, il est président d’honneur de l’Association des agriculteurs du Maroc, tandis que leur cousin Jacques Paul Régnier, petit-fils d’Élisée, est président des caves coopératives de Tarzout, jusqu’à sa mort, à Alger, en 1950
[1].
Un autre frère d’Élisée, le lieutenant de vaisseau Armand, quand il décide de quitter la Marine parce qu’il trouve son avancement trop lent, va s’intéresser à la production et au négoce du vin, poursuivant de l’autre côté de la Méditerranée le commerce de son beau-père Guignard de Sainte-Foy-la-Grande. Il devient propriétaire viticole au sud de Tunis.
Lors de l’Exposition universelle de 1889, il reçoit la médaille d’or pour les vins de son domaine tunisien. Les récits familiaux en font le promoteur des cuves en béton réfrigérées.
Dans « La terre à vol d’oiseau »
[2], Onésime consacre un long chapitre à l’Algérie en même temps qu’à la Tunisie (« à quoi bon séparer ce que la nature et l’histoire unissent ?»). Après plusieurs pages décrivant la géographie physique de cette région, il s’intéresse à la population indigène de 3,6 millions d’individus, soit les Berbères ou Kabyles qu’il admire comme travailleurs, les Arabes « plutôt bergers que laboureurs », les 48 000 juifs qui « servent de pont entre les Européens et les musulmans ». Les juifs sont citoyens français depuis le décret Crémieux de 1870 et ils occupent toutes les situations
[3]. Quant aux Européens (sans les juifs), on compte 273 000 Français, 220 000 Espagnols (essentiellement dans la région d’Oran), plus 40 000 soldats. Les Français viennent de toutes les régions de France.
On doit à Onésime le mot et le concept de francophonie.
[1] Sur le passage des membres de la famille Reclus notamment à Tarzout (Ténès), au XIXe et au XXe siècle, se reporter à Philippe Pelletier,
Albert Camus, Elisée Reclus et l’Algérie : « Les indigènes de l’univers ». Le Cavalier bleu, 2015, 158 p. L’auteur s’attache à montrer les similitudes d’idées, à l’égard de la situation politique de l’Algérie, entre ces deux intellectuels qui souhaitent la collaboration des indigènes et des colons dans un but commun.
« Les indigènes de l’univers », c’est une expression de Proudhon.
[2] Hachette, 1893, 960 p., 616 gravures. Algérie-Tunisie, pages 495-510. Élisée traite de l’Algérie (avec la Tripolitaine, la Tunisie, le Maroc, le Sahara) dans le Tome XI de la NGU,
L’Afrique septentrionale (Deuxième partie). Hachette. 1886, 882 p.
[3] Benjamin Stora,
Les trois exils. Juifs d’Algérie, Fayard/Pluriel, 2010, 236 p.
Élisée Reclus, dans le tome XI de la GU, est plutôt critique vis-à-vis de cette naturalisation en bloc. Il juge que les juifs « ne l’avaient pas mérité », qu’ils ne sont pas venus se battre auprès des Français pendant la guerre de 1870 (comme les Berbères), qu’ils ne cultivent pas la terre et surtout que la France leur accorde un avantage qu’elle refuse aux Arabes, ce qui ne peut qu’accroître les tensions entre les communautés.
Photo : Noureddine Belfethi provenant de Pexels