Journal de campagne de Guillaume Mathieu de Dumas, interview de Marion Decoudun
C'est dans le cadre du salon du livre de Bergerac le 30 septembre prochain, que vous pourrez découvrir la transcription du journal de campagne de Guillaume Mathieu de Dumas, découvert dans un des fonds d'archives de la SHPVD. Le professeur Bertrand Van Ruymbeke, accompagné d'Iris de Rodes ouvrira la marche la veille, le 29 septembre à 18h avec une conférence autour de son livre "La marche sur Yorktown et l'indépendance des Etats-Unis, journal de campagne de Guillaume Mathieu de Dumas"
Au départ de ce travail, l'historienne et administratrice de la SHPVD, Marion Decoudun a travaillé sur les premières transcriptions de cet ouvrage. Premières découvertes à travers les pages d'une histoire pas ordinaire avec une interview de Marion Decoudun :
Vous avez travaillé sur la retranscription du livret de Mathieu Dumas. Quel est selon vous l’intérêt principal de cet écrit ?
Le « livre de raison » est une source de choix pour l’historien qui cherche à compléter la « grande Histoire » : les écrits du for privé font l’objet depuis quelques années d’une attention toute particulière tant ils permettent de mieux comprendre la perception qu’avaient les hommes des évènements auxquels ils participaient.
Ce petit livret est une merveille d’anecdotes « sur le vif », qui plongent le lecteur au cœur même de l’action.
C’est un mélange, écrit d’une plume alerte, de journal de marche, de considérations philosophiques (« il est souvent bien difficile de faire son devoir malgré les inquiets et les ignorants obsessifs »p.17, « tant de gens ont de l’honneur de se trouver ici que ne pouvant pas se plaindre de leur devoir ils s’en prennent à ceux qui leur font faire » p.18, « […] les Américains imitent nos usages et augmentent leur luxe, nous ne sommes pas assez sages pour retrancher absolument le nôtre, nous ne nous plions pas à leurs usages et nous leur faisons beaucoup de mal, nous sommes injustes, ignorants, décidants, impatients, ils auront bien raison de n’être pas contents de nous […] » p. 30, d’épanchements romantiques sur les paysages (« cette pointe […] est un des points de vue les plus intéressants et les plus curieux de ce pays, on ne peut se faire une idée de la grande beauté et de la nouveauté de ce paysage […] » p.27, « plus on fouille ce pays plus on est charmé des différents points de vue, la nature parait neuve et les accidents de terrains sont moins communs que partout ailleurs. » p.29, de saillies politiques ( « […] il parait que M. Necker, contrôleur général a donné sa démission. II n’y a personne qui ne soit personnellement intéressé à ce qu’un homme éclairé juste et désintéressé soit à la tête des finances. Delirant reges, plectuntur archivi. » p.32, et parlant du marquis de La Fayette « il a montré des talents et une expérience au-dessus de son âge, on parle trop peu de lui à l’armée française, on lui rend chichement justice. Les envieux mourront, mais non jamais l’envie. L’estime de tout un peuple, la gloire pour un Européen d’avoir joué un grand rôle dans cette importante révolution, l’influence qu’il aura nécessairement dans les affaires, enfin l’hommage de tous ceux qui savent apprécier le vrai mérite, le vengeront bien de l’injuste froideur de ses compatriotes. ») p. 35, de remarques cocasses comme le récit de l’aménagement précipité d’un coin de camp boueux en jardin anglais où ils invitent les généraux, ou l’annonce discrète du feu à bord du Romulus sur lequel les officiers étaient en train de dîner et qui était arrimé après abordage à une vedette anglaise chargée de poudre « on continue à manger bravement mais sans appétit » p. 68, et de commentaires très « français » sur les habitants (surtout sur les habitantes !) ( « avant de quitter Baltimore, un petit mot des dames, car je parle sans cesse des arbres…. Elles ne sont pas jolies en général, […] elles se mettent ridiculement, elles m’ont paru coquettes et peu agréables […] p. 61 », en revanche, à Annapolis « le sang est assez beau ici, j’ai vu quelques jolies femmes, une Madame Lloyd qu’on peut citer pour une des plus belles femmes qu’il y ait en Amérique […] elle se met parfaitement, elle a toutes les manières de nos petites maîtresses […] » )p.66.
Vous êtes spécialisée sur les écrits des XVIème et XVIIème siècles quelles particularités a présenté ce travail de retranscription ?
Chaque document manuscrit a sa particularité, et la technique de transcription est toujours la même : le parcourir pour avoir une idée de son sens, repérer les mots faciles à lire, puis s’attacher à déchiffrer mot à mot à l’aide des particularités de graphisme. Pour certains textes particulièrement ardus, il peut être utile de se confectionner un alphabet…
Rien de tout cela n’a été utile pour le texte de Mathieu Dumas, c’est une écriture XVIIIème très lisible, bien que parfois minuscule. Pour moi, la difficulté a été mon ignorance quasi absolue de cet épisode de la guerre d’Amérique, j’ai eu du mal à « deviner » les noms de lieux ou de personnes. Et puis transcrire, ce n’est en aucun cas interpréter ni combler les vides : quand on ne lit pas, on laisse un blanc !
On ignore comment cet ouvrage s’est retrouvé dans les archives de la SHPVD. Existe-t-il des indices qui puissent éclairer ce mystère ?
Je ne veux pas remettre sur le tapis une polémique avec certains de mes amis de la SHPVD ! bien que cela reste un mystère, je ne peux pas croire que ce soit un hasard. Nous avons suffisamment d’amis qui sont allés en Amérique à cette époque, certains y ont fait souche et le lien me semble devoir être cherché dans cette direction. La présence -ou l’absence- d’un document dans un fonds est très rarement le fait du hasard.
Un fait vous a-t-il marqué à la lecture de cet ouvrage ?
Outre les éléments précieux sur les derniers jours avant la bataille de Yorktown, c’est plutôt l’ambiance qui m’a marquée. D’abord, je pense que ce journal quasi quotidien était destiné à une femme, probablement restée en France : le poème du début, en forme d’envoi me conforte dans cette opinion.
Plus généralement, j’y vois un témoignage de l’état d’esprit d’un officier français, envoyé se battre en Amérique sur les ordres du roi de France, une vingtaine d’année avant la Révolution. Certes les généraux portent de grands noms, mais les Lumières sont passées par là. Mathieu Dumas, de petite noblesse languedocienne, aide de camp de Rochambeau – mais grand admirateur de La Fayette- était certainement un officier de tradition formé dans une école militaire, mais sa perception sévère de la nature humaine, ses critiques à peine voilées de ses supérieurs (il parle souvent de xxx, de peur sans doute que son journal ne tombe en de mauvaises mains), son admiration parfois dithyrambique de la nature sauvage, dénotent un disciple des Encyclopédistes.
D’ailleurs la Révolution ne marquera pas la fin de sa carrière : avec un détachement de la Garde Nationale il sera chargé de ramener Louis XVI à Paris après son arrestation à Varennes, et continuera une carrière politique jusqu’à sa mort en 1837.